Dans un carré de chocolat, il y a …

Dans un carré de chocolat, il y a…

Dans un carré de chocolat, il y a tout le bonheur du Monde. Il y a le sourire des femmes, les baisers langoureux et savoureux qui unissent les hommes au repos et leurs compagnes accompagnées de nuées d’enfants éparpillés qui courent, les yeux écarquillés de bonheur.
Dans un carré de chocolat, il y a toute la douceur du Monde, tout le plaisir de l’attente, puis l’extase, si l’on parvient à retarder sa dégustation. Dans un carré de chocolat il y a toute la curiosité indispensable pour apprécier la finesse, la saveur cachée, l’odeur, chaque fois renouvelées.
Dans un carré de chocolat, il y a les cinq sens, qui se livrent sans retenue.
Dans un carré de chocolat, il y a la sensation de la découverte intégrale chacun de ces sens, les enfants se précipitent : « Moi d’abord, moi d’abord ! » Il y a le délicieux cocon qui naît, grandit, entoure notre tête, avec volupté.
Dans un carré de chocolat, il y a aussi l’amertume du chocolat noir, au pourcentage élevé de cacao, qui a oublié de se sucrer, et nous apporte l’extase : déglutir est devenu impossible !
Dans un carré de chocolat il y a la tendresse du chocolat blanc ou du chocolat au lait, qui flatte les papilles des enfants.
Dans
un carré de chocolat il y a le chocolat-récompense, le meilleur, le roi. Dans un carré de chocolat il y a le chocolat chaud, avec sa peau dont on a attendu la formation, qui nous sort de la léthargie du sommeil.
Dans un carré de chocolat il y a les habituelles disputes (pour rire) pour le partage des derniers morceaux de la tablette. Tout cela sera réglé par le papa, qui devra se priver.
Enfin dans un carreau de chocolat il y a le long et pénible travail des planteurs et de toutes celles et ceux qui s’usent à le produire.

Marbre

Je m’adresse à quelqu’un, ou quelque chose, en débutant mes paragraphes par « Toi, je t’aimais … », puis « J’ai aimé … », puis « J’ai détesté … »

Toi, je t’aimais, mon joli marbre. Tu trônais en permanence sur mon bureau, où tu as encore ta place. Tu étais mon copain puis étais devenu mon ami. Je ne savais pas ton vrai nom, je te nommais mon marbre parce que c’était joli comme tout, comme toi. Tu avais la taille et la forme d’une savonnette. Tu étais ocre jaune veiné de noir. Tu étais le matin froid comme une tombe mais bien vite, après quelques caresses, tu t’éveillais et devenais doux, rassurant, comme la peau de la joue de mon grand-père, qui t’avait confié à moi.

« Tiens, avait-il déclaré les yeux humides, prends soin de ce presse-papier pour te souvenir de moi. Je sais que tu as commencé à écrire des petits textes. Moi je te ferai bientôt lire les articles que j’ai publiés dans un journal. Tu me diras ce que tu en penses ! »
J
‘aimais mon grand-père, marbre, quand il me parlait ainsi. Il me donnait la confiance en la vie dont il se faisait un devoir d’être le témoin, il me transmettait la force pour bien démarrer.
Je t’aimais, marbre, car je savais que tu ne m’aurais pas transmis, par ton simple contact ou même ta seule présence, ses convictions.
Je suis certain que tu m’aimais aussi. Mon joli marbre, je te tourne et te retourne dans ma main pour que tu me le rappelles.

Tu sais – ou peut-être ne le sais-tu pas, après tout – j’ai aimé le matin où je t’ai saisi d’une main nerveuse. Mes mouvements étaient saccadés, incontrôlés. J’étais dans un de ces jours où l’on regrette de s’être levé. Alors, joli marbre, tu m’as glissé à l’oreille :

« Va donc ouvrir ta fenêtre, remonte tes volets, et aime ! Aime le soleil, l’odeur des arbres, celle de la pelouse fraîchement tondue, aime, encore une fois ! Bon, à présent, reviens ! »
J’ai aimé me rasseoir devant l’écran neutre, qui ne me reprend jamais. J’ai beaucoup aimé saisir le stylo, prenant un air bougon qui signifiait « Vous allez voir de quoi je suis capable ! »
J’ai aimé toutes les fois où je me suis arrêté pour respirer, pour me retrouver un peu dans mon bureau, me ressourcer pour m’éviter l’envolée lyrique où je me serais noyé.
J’ai aimé toutes les fois où tu m’as repris, joli marbre, quand un éclat de lumière se reflétait sur toi et me rappelait à l’ordre.

J’ai détesté le jour où j’écrivais encore à propos de mon grand-père. J’avais entendu le bruit familier de ses pantoufles, j’ai repéré le moment où il passait devant le poste de télévision, puis s’approchait de moi en sifflotant un chant de marin.
J’ai détesté cette seconde, quand toi, joli marbre, je t’ai repoussé d’un coup de coude hors de mon bureau. J’ai alors détesté jusqu’à la haine le malheur qui t’a entraîné au sol. J’ai détesté ta chute sur le parquet avec un bruit terrible, tu étais si lourd.

Maintenant, chaque jour, et de plus en plus souvent, je mets mon ordinateur en marche pour me replonger dans cette ambiance intime, tu vois, joli marbre, dont tu participes à la naissance. Nous nous réunissons, et cela fait une belle équipe : le stylo, la feuille, la musique classique en sourdine, et nous deux.
Il reste encore, entre nous tous, l’ombre de mon grand-père.

Il était aussi très lourd et c’est de tout son poids qu’il était tombé, la tête en avant …
J’ai détesté à jamais devoir assister à la fin de sa vie, j’ai détesté ne plus le reconnaître.

Je t’ai détesté, mon joli marbre, puis je me suis souvenu de Grand-Père et je n’ai plus rien détesté.

Loïc