Tableau de Thierry Lozachmeur : Rebel
Pressée, je le percute violemment en tournant le coin de la rue. Il se tenait là, comme un vigile surveillant je ne sais quoi.
Mes yeux essaient de croiser les siens, mais derrière ses lunettes il reste à distance. Alors, je fais un pas en arrière prête à poursuivre mon chemin mais quelque chose m’interpelle : sa posture droite dégageant une certaine élégance.
Un homme en gilet rose barré d’une chaîne en or retenant une montre à gousset. Il me paraît être d’un autre temps. Bizarre !
Quelque chose de rebelle transparaît dans son attitude et le contraste entre jean délavé ceinturé de cuir et le foulard noué autour de son cou jure avec sa casquette un rien coquine.
J’engage la conversation et à mon étonnement il ne me répond pas. Est-il un étranger perdu ici au coin de la rue ? J’observe sa main dans la poche et une chaîne, encore, cache un secret. J’essaie maladroitement quelques mots en anglais mais devant son mutisme, je renonce.
Mes pas de femme pressée me guident vers le centre culturel de l’Archipel où j’ai rendez-vous avec mes amis pour écrire à propos de la toute nouvelle exposition de l’été.
Il était là, cette fois ci sur un tableau accroché dans le hall d’entrée et toujours son air rebelle me toisait. Je compris qu’il avait juste eu l’envie de faire un petit tour en ville avant de commencer sa journée d’homme modèle exposé aux regards inquisiteurs des visiteurs.
Deux tableaux d’Andrée DOUGUET : Explosion / Et demain ?
Une explosion vient de se produire, assourdissant encore la chute des pierres des immeubles alentours. Tout s’écroule, lentement, comme dans un rêve, un mauvais rêve, au ralenti, tout gris.
La poussière obscurcit les rayons du soleil qui tentent de se frayer un chemin dans ce chaos.
Autrefois, la petite venelle riante, fleurie, laissait entrevoir un petit coin tout bleu où les hirondelles virevoltaient comme de petites folles.
Maintenant, avec un sentiment d’accablement, en position repliée, la gamine et sa mère contemplent le désastre avec une question au bord des lèvres : Et demain ?
Tableau d’ Elzbieta BEAUJARD : Automne
Il était une fois …
Quoi ? Quoi ? réclamait l’enfant.
Quoi ? Quoi ? répliquait l’oiseau noir en croassant.
Et ben quoi ! Moi, je ne sais pas ce que je fais là. Il me semble que je me suis perdu dans cette forêt étrange. J’étais avec mon père et mes frères, joyeux, allant chantant le long du sentier ombragé.
Ma mère, à mi-mots, avait parlé d’un trésor insolite dans ce sous-bois et d’un clin d’œil elle m’a encouragé à suivre mes aînés. Surprise !
J’étais le plus jeune, pas plus haut que trois pouces, et traînais les pieds sur cet interminable chemin où les arbres bleus naviguaient tels des radeaux sur des couches de mousses en surfant sur toutes les couleurs. Les poches pleines de petits cailloux blancs ramassés en chemin ralentissaient la marche du garçonnet qui trébuchait de fatigue.
L’oiseau, noir de corbeau, perché, lui répondit : Quoi ? Quoi ? Encore toi !
L’arbre rouge droit comme un totem se distinguait dans cette forêt bleue et rayonnait tel un phare sur le bord de la côte. Un phare en pleine forêt : étrange vraiment !
Quoi ? Quoi ? Ne savait que répliquer l’oiseau noir sur sa branche, perché.
Déçu, l’enfant revint sur ses pas.
Deux tableaux d’Isabelle D’ARBOUSSIER : Le clocher rose et Le val bleu
C’est par hasard que Matisse trouva le chemin du Val Bleu. Il eut envie de tirer le fil qui se torsadait sous ses yeux pour y entrer. Il pensa s’immiscer dans un conte et pour cela la chevillette chut quand il poussa la porte pour y pénétrer sur la pointe des pieds. Il attrapa ce fil d’Ariane, d’un noir d’encre de Chine, épais comme un cordage. Cette ligne puissante tracée telle un boustrophédon le promena de droite à gauche et de gauche à droite comme le laboureur traçant ses sillons dans son champ. Ses allers et retours tricotaient inlassablement des lignes entremêlées et parfois, une boucle accrochait un village tranquille, une forêt haut perchée, quelques maisons ou bien un clocher au sommet d’une paroi rocheuse.
Le val se nichait dans un cocon d’ombre bleue, fraîche à souhait où il faisait bon se lover.
Après sa visite Matisse l’explorateur laissa derrière lui la ligne noire enroulée, petite pelote de chanvre prête à se lancer à l’assaut du clocher rose du tableau voisin telle une infatigable conquérante.
Hélène.